Enfant je passais des heures le nez dans mon atlas à imaginer les paysages et à essayer de comprendre l’ordonnancement du monde. A l’adolescence, j’allais me poster au seuil des pistes à l’aéroport de Bruxelles pour voir atterrir les avions et rêver aux contrées qu’ils avaient quittées quelques heures auparavant. Aujourd’hui quand je survole une zone urbaine de nuit, j’imagine derrière chacune des milliers de petites lumières, la vie des êtres qui s’affairent en un immense mouvement brownien de destins individuels. Je me demande comment tout cela peut bien tourner rond et produire quelque chose de coordonné, un élan commun vers le futur.
Vu d’en haut, tout parait physiquement organisé, chaque chose semble posséder une place immuable, tout est beau et évident. Il faut descendre là tout en bas pour prendre la mesure de l’imbroglio des relations entre les hommes et de la complexité de leurs entreprises. Là en bas, on ne survole pas la réalité, on l’éprouve.
Il y a dans le fondement de ma pratique de la photographie aérienne quelque chose de l’ordre de la légèreté et de la pesanteur chez Kundera dans l’Insoutenable Légèreté de L’être … une manière de m’arracher à bon compte à la gravité et à la condition humaine.
Je suis allé avec mon fils Nathan acheter un drone une semaine avant de partir en vacances en Sicile. Je voulais photographier les villages perchés bordant le parc naturel des Madonies. Je pensais que seuls des clichés aériens rendraient justice à leur noble beauté décatie.
Nous avons passé 17 jours en Sicile. Nous avons sorti le drone pratiquement tous les jours. D’abord pour nous familiariser avec son pilotage et avec la prise de vue aérienne, ensuite parce que nous y avons trouvé pléthore de scènes méritant que l’on prenne de la hauteur.
La prise de vue aérienne charme l’œil car nous n’y sommes pas habitués, elle génère l’enthousiasme de la découverte. Elle permet une vue d’ensemble affranchie de certaines contraintes physiques telles un manque de recul ou des éléments de décors parasitaires. Qui n’a pas regretté la présence de nombreux badauds devant un monument ou au beau milieu d’une vue pittoresque ? Un peu d’altitude remise tous ces éléments aux marges de la scène ; les badauds ne forment plus qu’une lointaine colonie de petites fourmis sans importance.
Vus d’en haut, certains sujets comme un théâtre antique, un cratère de volcan ou un bord de mer urbanisé prennent une tout autre dimension esthétique. Ils déploient toute l’harmonie de leurs formes, se dévoilent dans toute leur grâce. A la verticale, à l’exact aplomb des choses, tout devient inattendu et poétique. L’image révèle des formes et des motifs improbables dont la beauté et l’abstraction nous émeuvent. Mon ami Aziz dirait que cette splendeur ne peut être le résultat du hasard, qu’elle relève forcément de l’œuvre d’un créateur.
Pour ma part je me contente de documenter ces scènes saisissantes avec mon drone, qui me transporte Tout en Haut du Monde, là où la beauté de la vue se suffit à elle-même.